Dans un site exceptionnel, un joyau oublié remis en valeur.
L’église Saint-Georges est une des attractions du quartier Saint-Georges de Lyon, au cœur du Vieux-Lyon, dans la zône inscrite à l’inventaire du patrimoine mondial de l’humanité de l’UNESCO. Dans ce quartier un peu assoupi, à côté du quartier Saint-Jean très animé commercialement et touristiquement, l’église constitue un signal de style gothique, comme un écho dans l’espace et le temps à l’exultante primatiale Saint-Jean-Baptiste, réinterprétation du style gothique déposée quelques siècles plus tard et quelques centaines de mètre en aval le long de la Saône.
Elle se niche discrètement dans un panorama qui, vu de la passerelle « Abbé Paul Couturier », est un des plus beaux de Lyon, où le cours sinueux de la Saône et un vaste ciel relient la colline de Fourvière à celle de la Croix-Rousse.
Plusieurs initiatives heureuses de la Ville de Lyon visent à revitaliser et requalifier le quartier.
Un patrimoine architectural
L’édifice inscrit à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques renferme en son sein un élément précieux mais oublié du patrimoine architectural et musical lyonnais : le grand orgue de Joseph Merklin.
Le buffet d’orgue et la tribune ont été dessinés en 1874 par Pierre-Marie Bossan (1814-1888), architecte de l’église. L’ensemble forme donc avec le bâtiment un ensemble homogène particulièrement intéressant pour qui s’intéresse à l’œuvre de Bossan et au style néo-gothique. L’architecte a dessiné la tribune et le buffet dans son âge avancé, tandis que la conception de l’église date de sa jeunesse.
Les premiers dessins de l’église prévoyaient une tribune simple rectiligne, au lieu de la tribune en accolade que l’on admire aujourd’hui. Cette modification paraît liée à l’évolution du rit catholique usité à Lyon : la construction de l’église se situe dans la période d’abandon du vieux rit Lyonnais et d’adoption du rit Romain. Le rit lyonnais assez austère n’admettait pas la musique instrumentale durant l’office, et seul le son du « serpent » accompagnait parfois le chant choral. Le caractère original, indépendant, voire rebelle, de la cité se trouve rappelé ici indirectement.
D’autre part l’examen des dessins et la simple observation des lieux montre que Bossan et, sans doute, le facteur d’orgue, se sont trouvé devant un problème délicat pour l’aménagement de l’orgue : la tribune et le buffet occupent tout l’espace restreint délimité par le mur du fond de l’église, les arcs des ogives latérales, les montants des baies supérieures. La rosace perçant le mur du fond vient également limiter le volume disponible en hauteur bien au-dessous de la voûte ogivale.
Le résultat est spectaculaire, grâce au bel éclairage par les deux baies latérales : le jeu de montre du grand orgue n’exhibe pas moins de 48 grands tuyaux sur toute la largeur de l’église, enchassés dans une dentelle de bois sculpté sombre.
Les visiteurs ne manquent pas d’être frappés, et les témoignages recueillis montrent que les mémoires conservent des années après l’impression produite par ce buffet, impression certainement renforcée lorsque les harmonies du grand Merklin s’en échappaient.
Un patrimoine musical.
Les témoins ayant entendu l’orgue deviennent cependant moins nombreux, après plus de 30 ans de silence.
Ils sont néanmoins formels : « Un instrument bien équilibré », « une sonorité magnifique », « du bon Merklin ».
L’acoustique de l’église est bonne.
Malgré une reconstruction en 1894, une restauration en 1945, et les dégats occasionnés par les travaux effectués sur le gros-œuvre de l’église en 1971, les tuyaux constituant le patrimoine sonore légué par Joseph Merklin paraissent pour l’essentiel conservés et récupérables.
Par une importante opération de ravalement et de réfection de toiture, la Ville de Lyon assure judicieusement la préservation et la mise en valeur du gros œuvre de l’église. Il serait donc opportun de compléter cette action par la remise en état de l’orgue pour rendre à l’édifice toutes ses fonctions esthétiques et musicales et restituer au patrimoine un témoignage complet sur le goût de l’époque.
Histoire et perspectives
L’histoire de l’instrument comporte une part de mystère que des recherches en archives devraient dissiper.
Il semble que l’instrument ait été installé d’abord en 1862 dans l’église inachevée, réduite au chœur et au transept actuel. Les rouleaux d’abrégés encore présents sous le sommier du grand orgue semblent indiquer que la console se trouvait alors située sur le côté gauche du socle du buffet.
Puis après la construction de la nef et de la façade ouest, il aurait été installé en 1873 à son emplacement définitif sur la tribune, bénéficiant en cette occasion d’un agrandissement par Joseph Merklin. C’est à ce moment que Bossan alors retiré à La Ciotat, a dessiné la tribune et le buffet.
Une profondeur de deux mètres seulement se trouve disponible pour l’aménagement des trois orgues (grand orgue, récit, pédale), de sorte que le facteur les a répartis l’un à côté de l’autre, en abandonnant la symétrie fréquente de l’aménagement traditionnel l’un derrière l’autre ou l’un au-dessus de l’autre.
20 ans plus tard, un premier relevage est effectué par Guetton-Dangon.
Enfin en 1945, Merklin & Kuhn effectuent un relevage et introduisent une transmission électropneumatique à partir d’une nouvelle console, retournée. Des remaniements des jeux sont pratiqués, mais l’orgue reste curieusement incomplet : le sommier du grand orgue comporte un emplacement pour un plein jeu qui n’est pas installé.
Le système électropneumatique n’est pas réputé pour sa fiabilité. A la fin des années 1960, l’ensemble donnait semble-t-il des signes de faiblesse et un relevage devait être envisagé.
Mais le mauvais état du gros œuvre de l’église conduisait à sa désaffection provisoire en 1971 pour d’importants travaux de maçonnerie, réalisés par la Ville, pour la consolidation des voûtes. L’orgue, peu ou mal protégé, reçut des chutes de gravats, d’eau, de ciment, qui le rendirent muet.
Paul DUBOIS